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La médiation au service de la prévention des RPS : de quoi parle-t-on ?

Par Gabriel MAFFRE, fondateur du cabinet PROtG Conseil & Formation.

Gabriel Maffre est l’auteur du mémoire de recherche intitulé “Médiation et souffrance au travail : s’exprimer librement pour prévenir les risques psychosociaux. Perception et impact des Espaces de discussion sur le travail auprès des employés du GRETA Midi-Pyrénées Centre”.

La médiation est-elle un processus efficace de prévention et de gestion des risques psychosociaux ?

Avant de répondre à cette question, il convient de s’arrêter sur quelques définitions et origines.

La médiation est un processus de négociation basé sur une démarche volontaire qui engage la responsabilité des parties prenantes tout en garantissant la plus stricte confidentialité pour l’ensemble des échanges.

Pierre Garbit[1], magistrat honoraire, ancien président du Tribunal de Grande Instance de Lyon et médiateur, apporte une précision au sujet « d’un processus structuré par lequel les parties à un différend, avec l’aide d’un tiers neutre, impartial, indépendant et sans pouvoir décisionnel, recherchent ensemble une solution à leur différend. »

Cette dernière permet de comprendre la distinction entre le médiateur, d’une part, et le conciliateur ou l’arbitre, d’autre part, qui, eux, sont pourvus d’un pouvoir de conseil et/ou de décision.

Il est commun d’attribuer les prémices de la médiation à la Grèce antique. A l’instar du médiateur, Socrate ne délivrait pas un savoir mais en stimulait la révélation.

Son disciple, Platon, n’écrivit-il pas dans Les lois (VI, 767) : « Il faut que ceux qui ont des griefs les uns contre les autres commencent à trouver leurs voisins, leurs amis, aussi bien que ceux qui sont au courant des actes sur lesquels porte la contestation, qu’ils aillent vers les tribunaux dans le cas seulement où, d’aventure, on n’aura pas reçu de ces gens-là une décision qui règle convenablement le différend ». [1]

 

[1] Garbit, P. Préface. In BRET, J.-M. (2022). La médiation : un mode innovant de prévention et de gestion des risques psychosociaux (p. 9). Chigny-les-Roses : Médias & Médiations.

La médiation : un mode innovant de prévention et de gestion des risques psychosociaux (p. 9). Chigny-les-Roses : Médias & Médiations.1

On retrouve la pratique ancestrale et culturelle de la médiation à toutes les époques et dans plusieurs régions du monde comme, par exemple, avec l’art de la palabre africain ou avec le confucianisme qui semble marqué par cette philosophie.

Prenons le cas des !Kung, groupe ethnique de la famille des San, vivant dans le désert du Kalahari en Namibie, au Botswana et en Angola, pour lequel les conflits sont considérés comme anormaux et doivent être résolus au plus vite. Afin d’y parvenir, cette société pacifique fait appel à différentes stratégies dont la médiation.

Pour ce peuple ayant développé une longue tradition de la non-violence, « l’éthique de la résolution des conflits est si forte qu’il incombe à chacun qui assiste à une querelle de s’impliquer afin de réconcilier les adversaires.

Lors d’une médiation, cette réconciliation est considérée comme plus importante que le fait de déterminer qui a raison ou tort[2]. »

 

[2] Lecomte, J. (2014). La Bonté humaine : Altruisme, empathie, générosité. (pp. 230-232) Paris : Odile Jacob.

Les risques psychosociaux (RPS)

Le Ministère du Travail définit les risques psychosociaux comme « un risque pour la santé physique et mentale des travailleurs. Leurs causes sont à rechercher à la fois dans les conditions d’emploi, les facteurs liés à l’organisation du travail et aux relations de travail. Ils peuvent concerner toutes les entreprises quel que soient leur taille et leur secteur d’activité. »

De plus, une enquête de la Direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (Dares) pour l’INRS (2016-2019) a révélé, entre autres chiffres, que 45 % des actifs français ont déclaré en 2019 devoir (toujours, souvent) se dépêcher et 30 % auraient subi, en 2016, un comportement hostile dans le cadre de leur travail au cours des 12 derniers mois.

En rappelant que « la prise en compte des risques psychosociaux est devenue incontournable », l’Institut national de recherche et de sécurité définit clairement les RPS comme « des situations de travail où sont présents, combinés ou non :

      • Du stress : déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes de son environnement de travail et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face.[2]
      • Des violences internes commises au sein de l’entreprise par des salariés : harcèlement moral ou sexuel, conflits exacerbés entre des personnes ou entre des équipes.
      • Des violences externes commises sur des salariés par des personnes externes à l’entreprise (insultes, menaces, agressions…). Ce sont des risques qui peuvent être induits par l’activité elle-même ou générés par l’organisation et les relations de travail.[3] »

On retiendra également comme définition de référence celle du rapport du collège d’experts présidé par le sociologue et statisticien Michel Gollac :[4] les risques psychosociaux sont « les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental. »

Pour autant, malgré cette tentative de cadrage, la définition des RPS n’est ni aisée ni stable comme nous le rappelle Tarik Chakor, Maître de Conférence à l’Université Savoie Mont Blanc. « La définition des RPS n’est pas totalement stable : en effet, ce phénomène est souvent défini empiriquement par une liste, impliquant des concepts flous et poreux, mêlant causes et conséquences : stress, fatigue, Burn out, dépression, souffrance, violences internes et externes, harcèlement moral, voire suicide.

En regroupant sous le même vocable des réalités très diverses, les RPS empêchent tout consensus et tout compromis évident.[5] » Cette absence de stabilité mise en avant par T. Chakor complexifie la compréhension de ces phénomènes.

Les RPS se situent entre la vie personnelle et professionnelle, impliquant des aspects personnels et professionnels qui rendent difficile l’identification précise de l’origine du mal-être.

La diversité des causes et des effets des RPS, en fonction des situations professionnelles et des individus, contribue à cette confusion.

En milieu professionnel, « l’absence de relation univoque de cause à effet, liant causalement une situation de danger a des effets pathogènes sur la santé des salariés, empêche toute généralisation de la logique d’occurrence et l’établissement d’un modèle de compréhension classique (un risque/un effet). »

De même, chaque individu réagit différemment à des situations similaires et il se peut que sur une situation identique, une même personne adopte une réaction différente selon le moment de sa vie.

Cette pluralité de situations crée une grande confusion et complique l’appréhension des RPS et donc, a priori, le choix d’un dispositif d’intervention uniforme pour leur prévention…

 

[3] INRS, Risques psychosociaux (RPS). Ce qu’il faut retenir [En ligne], mis à jour le 08 novembre 2021, consulté le 18 décembre 2023. URL : https://www.inrs.fr/risques/psychosociaux/ce-qu-il-faut-retenir.html

 

[4] Askenazy, P., Baudelot, C., Brochard, P., Brun, J. P., Cases, C., Davezies, P., Gollac, M. (Dir.)… & Weill-Fassina, A. (2011). Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser. Rapport du Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, faisant suite à la demande du Ministre du travail, de l’emploi et de la santé, p.13.

 

[5] Chakor, T. (2015), « Généalogie des risques psychosociaux au travail : un phénomène au cœur d’une tension politique », Économies et Sociétés, Série « Études Critiques en Management », KC, n°4, 2/2015, pp. 197-225.

La médiation : un cadre sécurisé pour restaurer le dialogue :

Doit-on forcément considérer le conflit comme un élément néfaste et dangereux à la relation interpersonnelle ?

Ou au contraire opter pour une coopération conflictuelle et choisir les “bons conflits” pour faire du neuf et améliorer réellement la qualité de vie et des conditions de travail ? Dans son ouvrage[6], Yves Clot précise, au sujet du conflit de critères concernant le travail bien fait : « Livré à lui-même, indiscuté parce qu’indiscutable dans l’organisation du travail, esquivé dans le collectif ou refoulé par la hiérarchie, ce conflit empoisonne alors la vie de chacun et celle de l’organisation. »

Le conflit n’est donc pas à bannir ni à taire. La question n’est pas tant son apparition que la façon dont on le gère.

Bien-être au travail et performance sont étroitement liés à la réalisation d’un travail de qualité et à la possibilité d’en débattre.

C’est pourquoi les organisations les moins exposées aux risques psychosociaux ne sont pas celles où les conflits sont moins fréquents, mais plutôt celles où les discussions sur la façon d’accomplir les tâches et d’exercer les fonctions sont les plus constructives.

Cependant, la réalité est plus complexe : en moyenne, environ un tiers de notre temps est dédié à surmonter des obstacles lors d’une prise de décision. Ceux-ci semblent parfois insurmontables en face à face et exigent la présence d’une tierce personne pour renforcer le dialogue et faire émerger des solutions possibles. 

La médiation s’attache au conflit, non au seul litige.

Elle s’intéresse à la relation. « La médiation permet (…) aux parties de s’expliquer très au-delà du litige premier, pour aborder la conflictualité sous-jacente. Alors que le juge ne pourra statuer que sur la partie émergée de l’iceberg constituée du litige qui lui est présenté par les parties et leurs avocats, le médiateur pourra les amener à s’expliquer sur la partie immergée de ce même iceberg où se dissimule le conflit », explique l’avocat et médiateur Jean-Marc Bret[7].

En droit, le code de procédure civile l’encourage d’ailleurs puisque son article 131-1 dispose que : « Le juge saisi d’un litige peut, après avoir recueilli l’accord des parties, désigner une tierce personne afin d’entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose. »

En ce sens qu’elle s’intéresse à la relation, la médiation trouve aujourd’hui sa place dans les entreprises, les établissements publics, les associations, etc., en tant qu’instrument de prévention des violences discriminatoires, sexuelles, sexistes et/ou psychiques pour lesquelles l’employeur a une obligation légale renforcée d’en préserver ses collaborateurs.

Rappelons que l’article L1152-6 du code du travail prévoit qu’« une procédure de médiation peut être mise en œuvre par toute personne de l’entreprise s’estimant victime de harcèlement moral ou par la personne mise en cause. (…) »

En interrogeant notamment les représentations et les ressentis de chaque individu, la médiation crée un environnement sécurisé qui favorise la compréhension mutuelle des racines de la violence. 

 

[6] Clot, Y. (2021). Le prix du travail bien fait. La coopération conflictuelle dans les organisations. Paris : La Découverte.

[7] BRET, J.-M. (2022). La médiation : un mode innovant de prévention et de gestion des risques psychosociaux. Chigny-les-Roses : Médias & Médiations.

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